Secret d’affaires versus brevet
A l’inverse des brevets il n’existe pas de prescriptions légales pour l’obtention d’un secret d’affaires, ce qui ne signifie pas qu’il n’existe aucune législation spécifique en la matière. Plus précisément, il existe une législation aux Etats-Unis et une directive européenne qui a été transposée en textes de loi nationaux, sur lesquelles peuvent s’appuyer les détenteurs de secrets d’affaires en cas de vol ou d’appropriation illégale du secret d’affaires par un tiers. Dans ces textes de loi, le prérequis important est que le maintien secret du secret d’affaires ait été assuré par la prise de mesures adaptées et adéquates par son détenteur. Ceci implique que le détenteur de secret d’affaires doit prendre proactivement des mesures pour assurer que le secret d’affaires soit maintenu, par exemple en limitant l’accès au secret et le nombre de personnes qui y ont accès, en cataloguant et en labellisant l’information comme secrète etc. Les mesures à prendre dépendent des circonstances et de la valeur commerciale du secret d’affaires. En cas de valeur commerciale importante, les mesures nécessaires seront plus nombreuses et plus strictes.
Les brevets de leur côté exigent que les entreprises rendent publique leur innovation. La protection qu’ils offrent est également limitée dans le temps, généralement pas plus de 20 ans, alors que les secrets d’affaires restent protégés pour une période illimitée. Beaucoup d’entreprises – comme Coca® Cola, qui n’a pas de brevet sur sa recette secrète – choisissent de protéger leurs secrets plutôt que de les rendre publics dans une demande de brevet. Bien que les secrets d’affaires aient une durée de vie théoriquement illimitée alors que les brevets perdent leur validité, il existe le risque qu’un tiers découvre le secret de manière indépendante. Il est en outre légalement admis de découvrir le secret via du “reverse engineering”. La décision de demander un brevet ou de protéger l’innovation par un secret d’affaires doit donc être bien réfléchie. Alors que la décision semble être un choix entre deux alternatives opposées, l’approche correcte est souvent une combinaison des deux.
Quels aspects considérer pour parvenir à l’approche correcte?
1. Brevetabilité de l’innovation et ampleur de la protection
La considération principale à prendre en compte est l’évaluation de la brevetabilité de l’innovation et des chances d’obtention du brevet. Il faut avoir une bonne connaissance de l’état de la technique et pouvoir ainsi faire une évaluation raisonnable des décisions que prendront les bureaux d’octroi de brevets dans les différents pays, à la lumière des conditions de brevetabilité et en particulier du caractère innovant. Comme cet élément est difficile à évaluer, il peut être utile d’introduire une demande de brevet et de ne prendre la décision finale que lorsque l’enquête d’antériorité a été menée par le bureau d’octroi. L’enquête d’antériorité est généralement disponible avant que la demande de brevet soit publiée. Cela permet donc de retirer la demande de brevet et d’éviter la publication en cas de résultat négatif de l’enquête. En outre, en cas de demande de brevet européen ou belge, l’enquête d’antériorité est accompagnée d’un rapport qui évalue les objections à la brevetabilité.
Parallèlement à l’évaluation des chances d’octroi du brevet, il faut se poser la question de l’ampleur de la protection de ce dernier et de son efficacité pour maintenir d’éventuels concurrents à distance. En d’autres mots, l’exclusivité acquise sera-t-elle suffisante pour compenser le fait que l’innovation entrera dans le domaine public.
2. Possibilité de constater une violation de brevet
Vient ensuite la question de la difficulté/facilité de constater une violation de brevet. Bien qu’il existe des moyens juridiques permettant d’assembler des preuves de suspicion de violation de brevet, tels la saisie contrefaçon en Belgique et autres pays européens ou les procédures “discovery” au Royaume-Uni ou aux Etats-Unis, une procédure ne sera engagée que s’il y a une indication sérieuse de violation. Si la violation ne peut pas ou ne peut être que difficilement prouvée à partir d’un produit disponible sur le marché, la constatation de violation de brevet sera problématique. Ce qui diminuera la valeur d’un tel brevet.
3. Comment se comportent les concurrents/tiers
Un autre aspect à prendre en considération est le risque qu’un tiers ou plus particulièrement un concurrent ne découvre la même innovation de manière indépendante. A cet égard, il est intéressant d’évaluer le know-how de la concurrence et de mesurer la distance entre ce know how et ses propres innovations. Les publications et les brevets sont des sources utiles pour une telle évaluation. Comme la concurrence ne s’arrête pas et que sa connaissance s’accroît au fil du temps, cette évaluation doit être répétée régulièrement si l’on a choisi la voie du secret d’affaires. Si l’on constate plus tard que le risque de découverte par la concurrence devient trop important, on pourra encore introduire une demande de brevet à ce moment.
Ce dernier point nous amène à une considération importante. Lorsqu’une société opte pour le secret d’affaires, elle court le risque qu’un concurrent ou un tiers demande un brevet qui couvre ce secret. Bien qu’un appel puisse être introduit sur base du droit d’antériorité, ce droit est assez limité et très dépendant des réglementations nationales. Un secret d’affaires comprend donc toujours le risque de ne pas pouvoir faire valoir entièrement ses droits dans certains marchés, à tout le moins si un tiers demande un brevet qui couvre le secret d’affaires.
4. Le cycle de vie de l’innovation
Le cycle de vie du produit en question et la durée de valeur commerciale de l’innovation influencent également la décision. Lorsque cette durée, est supérieure aux 20 ans de protection offerts par un brevet, le secret d’affaires peut être un choix judicieux.
La recette Coca® Cola en est le parfait exemple.
Les secrets d’affaires doivent être accompagnés par des mesures préventives
La décision en faveur du secret d’affaires doit s’accompagner de la prise active des mesures nécessaires et de l’évaluation de l’efficacité de ces mesures pour maintenir le secret lorsque les circonstances évolueront. A cet égard, il est connu que l’évolution du personnel, en particulier les personnes clés, peut mettre en difficultés le maintien du secret. Un autre facteur de risque est l’utilisation du secret d’affaires dans des unités de production dans des pays où soit la protection des secrets d’affaires est limitée soit une réglementation locale peut rendre difficile le maintien du secret d’affaires.
Si vous souhaitez plus d’information sur le secret d’affaires, nous vous invitons volontiers à la prochaine session d’information de la cellule brevets, qui se tiendra le mardi 5 mai prochain à 14h00 par webinar (infos & inscriptions).